Une enquête publique… plusieurs rapports. Quel est le vrai ?

Pourquoi la mairie d’Ozoir a-t-elle publié deux (ou trois) version différentes du rapport du commissaire enquêteur ?

Pourquoi les élus ont voté une version différente de celle qui est aujourd’hui présentée au public ? Il peut pourtant en exister qu’un. LE rapport du commissaire enquêteur !

Retour sur les événements :

Le maire décide une enquête publique pour contraindre le lotissement dans lequel il réside à se conformer au PLU, le jour où, hasard du calendrier il va sans dire, l’on découvre un projet immobilier sur 5 maisons, dont sa propre maison et celle d’un de ses colistiers… projet impossible sans cela.

L’enquête publique a lieu du 15 au 31 mai, le commissaire enquêteur a ensuite un mois pour rendre son rapport. Jusqu’au 30 juin donc.

Lorsque le 20 juin 2024 les élus reçoivent une convocation pour un conseil municipal prévu le 26 juin avec une délibération portant sur l’approbation de l’enquête publique, même si les conclusions du commissaire enquêteur ne sont pas jointes, je conclus hâtivement qu’il a rendu son rapport… qui devrait donc être publié par la mairie sur son site internet et consultable en mairie. Comme ce n’est pas le cas j’adresse un SMS au commissaire enquêteur qui me répond… qu’il n’a pas rendu son rapport.

La mairie semble donc avoir la certitude d’avoir ce rapport le jour du conseil, à moins d’avoir envisagé faire le vote sans le rapport. Ce qui serait pour le moins étonnant. Le commissaire enquêteur et la mairie se sont-ils mis d’accord sur le timing ? Ça aussi ce serait étonnant.

Le 25, la veille du conseil, la mairie envoie aux élus un complément d’informations pour le conseil municipal ayant lieu le lendemain. 8 nouveaux documents concernant le budget, soit 648 pages… plus le rapport du commissaire enquêteur : 79 pages. La loi prévoit que les élus doivent avoir les éléments permettant de délibérer dans un délai suffisant pour en prendre connaissance. Imaginez avoir un travail et devoir lire et comprendre 727 pages dans une soirée et les comprendre pour être en mesure d’en débattre le lendemain… C’est impossible ! C’est pourtant ce qu’impose la mairie aux élus d’opposition… et à tous les élus d’ailleurs. Mais ceux de la majorité semble n’y voir aucun inconvénient. N’est-ce pas eux qui se vantaient, lors d’un conseil municipal de 2020, de ne pas avoir lu le PLU qu’ils votaient ce soir là ? Aussi fou que cela puisse paraitre c’est pourtant bien ce qu’il s’est passé. La conception qu’ils ont de leur fonction laisse songeur.

Le rapport ? Un rapport du moins.

Informé, je me rends immédiatement aux services techniques pour le consulter. A l’accueil on n’est pas informé de la présence du rapport. L’agent part se renseigner… et ça dure quelques minutes… habitué à traiter avec ces gens je sais déjà qu’il y a un problème. Ils ne m’attendaient peut-être pas aussi rapidement… ma demande les prend de court.

L’agent revient et me rapporte ce qu’on lui a dit de me dire : Ils sont en train de censurer le rapport et je pourrai le consulter en ligne dès que ce sera fait.

Censurer le document fait sens pour le RGPD lorsque vous le mettez en ligne, effectivement les administrés cités dans le rapport, parce qu’ayant participé à l’enquête publique, n’ont pas nécessairement envie que leur nom apparaisse sur internet. Mais pour moi qui était physiquement présent, il n’y avait aucune raison de m’interdire la lecture du document tel qu’il a été produit par le commissaire enquêteur. Me fournir ce rapport complet c’est 79 pages imprimées. Temps de travail pour un agent ? Un clic sur le bouton imprimer : 0.5 seconde.

Je suis donc rentré chez moi et j’ai écrit à la directrice de l’urbanisme pour lui rapporter mon étonnement… mais aussi laisser des traces de cet étonnement. C’est toujours utile à postériori pour replacer les choses dans le temps.

A 16 heures une version du rapport est publiée sur le site de la mairie… mais ne contient qu’une page sur deuxil manque notamment la conclusion. Je réécris donc un email :

A 17h15, j’appelle le tribunal administratif pour savoir comment consulter le rapport dont le commissaire a dû leur remettre une copie (c’est la loi). On m’explique que je ne pourrai pas venir le voir sur place et que la personne en charge de cette question vient de partir. On me donne son mail, j’écris donc pour demander comment faire pour le consulter en urgence…. La personne en charge étant partie, il ne sera lu, au mieux, que le lendemain… le jour du conseil.

Dans la soirée la mairie publie sur le site internet de la ville une version complète du rapport du commissaire enquêteur… Ce sera la même que celle communiquée aux élus. Mais censurée des noms des administrés ayant contribué à l’enquête publique… Rien d’anormal.

La loi précise que les élus doivent être convoqués 5 jours francs avant le conseil, mais elle est plus floue concernant l’information des élus. Des documents envoyés tardivement ne posent pas de problème… tant que les élus ont le temps d’en prendre connaissance pour voter de façon éclairée. Dans notre cas, il est matériellement impossible pour les élus ou ex-élus comme moi, même avec beaucoup de volonté, de prendre connaissance du rapport avant le vote. Chacun a lu tout au plus la conclusion… en travers. C’est pourquoi rien de tout ce que nous avons pu dire depuis des semaines pour contester cet étrange rapport n’a pu être dit lors du conseil municipal.

Le conseil se passe dans les conditions qu’on connait et qui méritent un ou plusieurs articles à part entière.

Ce qu’on appelle communément le « rapport du commissaire enquêteur » est constitué de deux documents distincts : Le rapport et ses annexes. Les annexes étant référencées dans le rapport.

Les jours suivant je m’attache à lire ce rapport et plusieurs choses m’étonnent. Le rapport théoriquement écrit par le commissaire puisque daté, paraphé et signé par lui contient bien la liste des annexes… Mais l’annexe numéro 4 intitulée « Constat d’affichage municipal » n’a pas été jointe au document présenté aux élus… Une erreur ça arrive…

Plus étrange encore… la numérotation des annexes :

Pourquoi n’y a-t-il pas d’annexes 5, 6, 7 ? Curieusement, la 4, pourtant bien listée, n’a pas été jointe.

Autre chose qui m’a étonné c’est le procès verbal des observations reçues établi par le commissaire enquêteur : annexe 8

Il se termine ainsi :

Comme vous le constatez il aurait été remis en « main propre«  le 11 juin 2022... C’est surprenant pour une enquête publique s’étant déroulée en mai 2024. Encore une erreur de frappe me direz-vous, c’est possible, ça peut arriver… même si ça saute aux yeux.

Par contre la signature « en main propre » de madame Méléard, adjointe au maire, qui a délégation pour signer à la place du maire semble être assez peu manuelle… Ce courrier parait donc « signé »… d’une image collée dans le document par quelqu’un… au nom de madame Méléard… au nom du maire. Vu les découpes, il s’agit clairement d’une image collée sur le document.

Mais vous me direz encore que je chipote.

La disponibilité de la version papier, complète, aux services techniques tardait à être publiée. J’eus écho qu’un administré s’étant présenté quelque jours après s’en serait fait refuser l’accès… ce qui serait illégal. En effet, la délibération du 26 juin peut être contestée au tribunal administratif pendant 2 mois. Plus on vous retarde l’accès à ce document moins vous avez de temps pour le contester…

Le 7 juillet, rencontrant la directrice de l’urbanisme lors des élections législatives dans mon bureau de vote, j’ai profité de l’occasion pour lui demander si le document était disponible au public. Elle me le confirma.

De retour chez moi je suis retourné sur le site de la ville et je n’ai pas réussi à retrouver la version qui avait été publiée le 25 juin…

C’est le 18 juillet qu’il va être remis en ligne dans les sections urbanisme et PLU du site internet de la ville. Cela m’étonne, puisqu’ils y étaient déjà… et je regarde les fichiers PDFs. Je me rends compte immédiatement qu’ils ont été récemment créés. Pourquoi remettre en ligne de nouveaux PDFs… alors qu’ils y étaient déjà il y a quelques jours ?

Pas besoin de chercher longtemps pour être encore plus intrigué puisque j’avais retenu que le rapport, en tout cas la version présentée aux élus, faisait 38 pages. Celui-ci en faisait 39.

Je le survole et voit qu’étonnamment la liste des annexes est correctement numérotée :

Je vais regarder le second PDF et je constate que l’annexe 4 a été ajoutée. Par ailleurs, les annexes 8, 9, 10 ont été renumérotées 5, 6 et 7.

Mais aussi, le document remis « en main propre » en 2022, l’est désormais en 2024 :


Il s’agit bien du même document… ou plutôt de deux documents prétendant être les mêmes. A t-on cherché à cacher cette erreur manifeste pour éviter que quelqu’un cherche à l’exploiter dans un recours administratif ? C’est la première idée qui me vient à l’esprit.

Restait plus qu’à comparer les deux rapports pour comprendre pourquoi ce dernier avait une page de plus… et la différence saute aux yeux dès le sommaire puisque la partie concernant les conclusions du commissaire a été modifiée.

Voici le sommaire de la version présentée aux élus :

Et voici le sommaire de la nouvelle version apparue sur le site internet :

La partie « II.c Appréciation du commissaire enquêteur » et la partie « III Conclusions motivées » disparaissent au profit d’un seul et unique « III Mes conclusions motivées« .

On passe d’un style distanciel dans lequel le commissaire parle de lui à la troisième personne à un style très personnel. Curieux changement. Et c’est ce qu’on va retrouver dans cette section, le contenu de la première version va être réordonné, on voit l’apparition du pronom « je » mais aussi l’ajout de plusieurs paragraphes en introduction.

Voici la première version de la conclusion, celle votée donc :


Et voici la version présentée désormais au public comme étant le même rapport du commissaire enquêteur :


Cette version dont l’origine est inconnue et dont l’existence fait du coup douter de l’authenticité du rapport présenté aux élus, est-elle une incompréhensible erreur dont on a peine à imaginer par quel principe elle aurait pu se produire… ou est-ce une volonté de remplacer le fichier destiné au public ?

Pour le savoir il suffisait d’aller voir si la version qui est présentée au public sous format papier aux services techniques est la même, celle qui doit être présentée intégralement telle que le commissaire enquêteur l’a rendue... et donc non anonymisée.

J’y suis allé et j’ai demandé à consulter l’enquête publique. Comme d’habitude lorsque je demande à consulter un document et qu’on n’a pas une bonne excuse pour ne pas me le présenter, on m’emmène dans une petite salle dans laquelle j’ai le droit d’en prendre connaissance… sous la surveillance permanente d’un agent… qui doit être là pour s’assurer que je ne n’altère pas les documents… reconnaissez le potentiel comique de la scène.

Il suffit de regarder la première page pour constater la numérotation sur 39 pages. Après une méticuleuse vérification il s’agit du « nouveau document » avec la mauvaise date en 2022 corrigée à 2024. Est-ce le vrai ? Le faux ? De l’un des faux ?

Je note une chose de particulière dans cette version. La liste des appréciations laissées par les administrés qui est anonymisée et fait 9 pages dans la version en ligne… et toujours anonymisée ici alors qu’elle ne le devrait pas…. Et il n’y a qu’une seule page ! On passe de la page 9 à 18 ! C’est dommage, voir cette interminable liste de personnes défavorables est un élément important qui pourrait être présenté à un juge, tout comme il est important de pouvoir constater qui a mis une appréciation « favorable » : pour l’essentiel des élus de la majorité et des personnes intéressées personnellement par la vente de leur terrain, quand elles ne sont pas les deux en même temps !

Je demande à consulter les recueils, l’agent va les chercher et me les ramène. Il y en a 10, c’est conséquent ! Je note qu’il n’y a que les commentaires écrits alors que la majorité des commentaires ont été faits par email. Je demande où ils sont. On ne sait pas. Je n’ai pas insisté, étant là sur ma pause déjeuner je n’avais pas le temps, on les aurait peut-être trouvés…

Il ne peut y avoir qu’un seul rapport du commissaire enquêteur. Pourquoi y en a-t-il deux ? Ou trois si on compte la version tronquée de 8 pages aux services techniques !

J’essaie de contacter le commissaire enquêteur à nouveau par SMS. Pas de réponse. Dommage. Mais je comprends qu’il n’ait pas envie d’assurer le service après-vente des magouilles d’Ozoir.

Je renvoie une e-mail au Tribunal Administratif en leur signifiant que je suis dans l’incapacité de savoir quel est le vrai rapport, puisqu’en quelques jours la mairie en a communiqué plusieurs… et que j’aimerais donc pouvoir consulter leur copie originale… Sans réponse je les appelle. Je suis mis en relation avec une personne ayant pris connaissance de mon mail du 25 juin et qui me dit avoir transmis ma demande à la présidente du Tribunal. Je comprends que ma demande leur semble inhabituelle et cette personne me dit quelque chose d’étonnant :

Alors que le commissaire enquêteur doit rendre « simultanément » le rapport à la mairie et au tribunal administratif, alors que le rapport est daté du 24 juin, qu’il a été transmis aux élus à 10h du matin le 25, cela veut dire que la mairie l’avait probablement depuis la veille au soir… alors que j’ai écrit au tribunal une première fois en fin de journée du 25 et que ma demande n’avait pu être lue que le 26, mon interlocutrice me dit que ma demande avait surpris car, à ce moment là, « le tribunal n’était pas en possession du rapport du commissaire enquêteur«  !

Elle me promet une réponse… que j’obtiendrai dans la journée :

Et oui… vous avez bien lu. Informé que la ville publie plusieurs versions différentes du rapport du commissaire enquêteur, à ma demande de consulter la version qui a été adressée au tribunal pour avoir une source fiable, ce dernier me répond un texte de loi qui indique qu’il appartient à la mairie de le rendre public. Ce texte de loi n’indique en rien que le tribunal administratif ne peut me donner accès à ce document… pour la raison simple qu’il n’en existe pas. Je ne vais pas apprendre au tribunal administratif ce qu’est un document public et les droits qui les régissent.

Ainsi, il m’était impossible de contrôler l’authenticité d’un document.

Excédé je leur réponds :

J’attire l’attention du lecteur sur le sérieux du problème. Si un agent d’une administration modifie un document et qu’il n’en publie qu’une seule et unique version, il est parfaitement impossible de le remettre en question. Ici, même si le document envoyé aux élus présentait quelques bizarreries, qui aurait pu prétendre qu’il s’agissait d’un faux ? Tenir de telles allégations, particulièrement sur votre seule intuition, même si elle est bonne, peut vous attirer des ennuis. Tout le monde a en tête Dominique Lebreton qui avait affirmé que les services avaient produit un faux mais, n’étant pas dans la capacité matérielle de le prouver, avait été condamné !

Mais là, que ce soit la version votée ou la version qu’on présente à la population, puisqu’il n’y peut y avoir qu’un seul rapport du commissaire enquêteur, personne ne m’en voudra de supposer qu’au moins l’un des deux (ou trois), est un faux ?

Le 30 juillet, las de tout ce cirque, puisqu’il y a, à mon sens, quelque chose de grave, de nature à altérer la confiance des citoyens Français envers leurs institutions, puisqu’il me parait évident que tout ceci n’est absolument pas dans l’intérêt des Ozoiriens : je signale à la justice ces informations notamment.

Coup de théâtre ! Le lendemain, je reçois une réponse inattendue du Tribunal Administratif :

Je télécharge la pièce jointe et la compare page par page.

La version officielle du rapport du commissaire enquêteur est donc bien celle qui est apparue au milieu du mois de juillet sur le site de la mairie !!

Mais alors, si cette version est LE rapport du commissaire enquêteur :

Quel est ce document que le maire a fait voter le 26 juin 2024 et qu’il a présenté comme tel ?

Vous avez noté dans sa réponse que le tribunal indique recevoir le document le 8 juillet ? Or, le rapport doit être remis simultanément à la Mairie et au tribunal Administratif.

Et voilà pourquoi cette version apparait quelques jours plus tard (le 18) sur le site de la mairie. Voilà pourquoi il devient soudainement accessible aux services techniques tel que l’a rendu le commissaire enquêteur !

Enfin… presque.

Parce que j’ai oublié de vous dire que le document signé « en main propre » par Madame Méléard en 2022 était bien une coquille dans un document antérieur et, en toute logique, le commissaire enquêteur l’a laissée dans la version qu’il a rendu au Tribunal Administratif.

Alors, qui a modifié cette date sur la version publiée le 18 juillet sur le site de la mairie et présentée au public aux services techniques… et pourquoi ?

Pour résumer il y eut :

  • Une version très bizarre présentée aux élus et votée sans qu’ils puissent en prendre connaissance.
  • Une version très différente présentée au public quelques semaines plus tard (avec la date 2024)
  • Cette même version sous format papier, anonymisé, à laquelle il manque 8 pages.
  • Une version au tribunal administratif… identique à la version présentée au public… mais avec l’erreur de date (2022) conservée.

Je vous laisse avec plus de questions que de réponses… Alors je vais vous proposer une explication :

La loi prévoit que le commissaire enquêteur rende son rapport en moins de 30 jours. Cela correspond donc à la version datée du 24 juin et envoyée hâtivement aux élus. Mais ce document n’est pas le document final, puisque la mairie ou le tribunal administratif ont 15 jours pour demander au commissaire enquêteur d’apporter des corrections… et des corrections à faire il y en avait ! Elles sautaient aux yeux !

Une fois ce délai passé et les éventuelles corrections faites, le rapport devient officiel.
Mais la mairie d’Ozoir avait visiblement une urgence à voter ce document… fut-il inachevé.

Cela expliquerait pourquoi, une fois la version finale rendue, le 8 juillet, la mairie a « discrètement » changé le fichier présenté comme le rapport du commissaire enquêteur, sur le site de la ville…

Par contre, rien n’explique que la date erronée ait été corrigée sur la version présentée au public par la ville d’Ozoir, parce que cette coquille existe bel et bien dans la version envoyée au tribunal administratif.

Peut-être qu’à la lecture de ce papier le préfet va réaliser qu’il y a un gros problème à Ozoir non ?

En attendant, j’ai fait mon devoir, j’ai informé la justice.

A votre service !

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